«J’adore le Sénégal que j’ai choisi pour finir ma vie»
(Texte parodique) J’ai acheté une maison authentique de Sénégalais en parpaings qui s’effritent (recommandé aux Belges qu'on m'a dit) et toit en zinc dont on m’avait vanté le confort sur les petites annonces de senegalaisement.com. Le vendeur m’a laissé ça pour une bouchée de pain. Le pauvre, je lui ai même fait un cadeau en augmentant le prix de 10% car j’avais honte de l’avoir colonisé.
C’est un peu rustique mais tellement typique. Le soir je m’endors au son des prières de ces musulmans très pieux et le matin je suis réveillé au doux chant des biquettes. Quand il pleut, je suis sous le charme du tambourinement mélodieux des gouttes sur la tôle. Le matin, je m'amuse à sauter à pieds joints dans les flaques de boue avec les enfants. Je suis heureux: c'est ça le vrai Sénégal.
Bien sûr, la maison n’a ni fenêtre grillagée ni porte qui
ferme bien. Ça ne fait rien. Je n'en veux pas. Les voisins viennent
librement pour prendre ce dont ils ont besoin: du jumbo, des couteaux,
l'échelle ou de la viande qui me reste dans le frigo. Ils me disent
qu’ici, on partage tout et que Dieu me le rendra. J’ai vu des maisons de
Sénégalais avec des frigos cadenassés. Lamentable ! On m'a dit que ce
devait être des Niakks ou des Baol-baols dont tout le monde sait qu'ils
sont radins. Ou peut-être même des Peulhs (des gens du voyage).
Mon gardien, assis dans un bon fauteuil dehors, renseigne les gens et leur indique où se trouvent les affaires qu'ils pourraient utilement emporter. Il leur dit même de venir la nuit: c'est mieux pour ne pas me déranger. Les Sénégalais, comme mon gardien, sont très attentionnés avec les étrangers. C'est ce qu'on appelle ici la teranga: tout le monde est charmant et te fait de grands sourires.
J’ai un puits et je suis heureux lorsque la nuit, depuis mon lit,
j’entends le son des seaux des femmes qui viennent y puiser ce liquide précieux en discutant
joyeusement. Je participe à leur vie sans les déranger.
Parfois,
j’ai de la colère quand j’entends des politiques qui disent qu’il y a
trop d’accidents de voiture. Moi, je ne veux pas que le Sénégal change.
Vive les vieilles voitures déglinguées si pittoresques, vive les jeunes
gens agiles que l’on voit accrochés à l’arrière des bus ou perchés sur
le toit. On ne voit pas ça chez moi -une fois- et ce serait dommage de ne
plus voir ça en Afrique. C'est comme pour les trottoirs ! C'est
merveilleux de voir ce peuple travailleur exposer son savoir faire aux
yeux de tous jusqu'au bord de la chaussée. Pourquoi viendrait-on ici si on voit tout pareil que chez
nous autres ? L'autre jour, en arrivant de Dakar la nuit, mon
taxi a évité de justesse un troupeau de zébus qui se promenait sur le
nouveau tronçon d'autoroute. Il n'a pas encore été clôturé. Il a dit
qu'il ne prendrait plus cette autoroute trop dangereuse et j'ai tout
fait pour le convaincre du piquant de cette situation exotique très
appréciée des millions de touristes qui viennent ici pour voir ça. Vive le
Zébu Libre!
J’avais une voiture. C’était étonnant car plus je la
donnais à entretenir, plus elle marchait moins bien. J’ai fait changer
mes cardans pour des neufs et après la révision, ils claquaient encore plus qu'avant. Le garagiste m'a expliqué que c'était des neufs d'occasion.
Conduire au Sénégal est passionnant car c’est un
vrai jeu vidéo. A chaque instant, des événements surprenants arrivent
devant tes yeux et sans de bons réflexes, je serais déjà assis à côté de
ma défunte maman. C’est formidable de pouvoir ainsi aiguiser ses
réflexes et se maintenir en forme intellectuellement.
Je laissais ma voiture devant
chez moi et un matin, j’ai vu que j’avais rendu service à un pauvre. Le
pare-brise fêlé que je venais de faire changer a disparu. Le caoutchouc a
été découpé très proprement pour l’enlever. Ils sont fort quand même
de travailler si bien dans une pénombre presque totale. Rouler sans
pare-brise est une aventure qu’il faut connaitre un jour. Je vous
recommande. Vous êtes en prise directe avec l’air chaud et les odeurs
africaines. L’Afrique véritable sans hygiaphone. Je n’ai pas eu le temps
de faire remplacer encore une fois ce pare-brise car deux jours plus
tard la voiture a disparue. Je pense que quelqu’un en a eu besoin et
qu’un jour je vais la voir revenir. J’ai confiance en la teranga
sénégalaise.
Quand je vais au restaurant tangana, je suis
toujours ébloui par la diversité de la cuisine d'ici et ses ingrédients
locaux comme le Jumbo qui donne ce goût typique à tous les mets. Parfois, ils changent pour du Maggi. J’adore
attendre les plats car j’ai l’occasion ainsi de rencontrer de nouvelles
têtes, des gens qui me trouvent sympathique et qui, spontanément,
viennent discuter et me proposer de bonnes affaires. Bien souvent, après discussion, je me retrouve à
ramener une statuette artisanale, fruit d’un labeur et d’un savoir faire
ancestral. Je pense faire agrandir ma case pour en loger plus car j’en
ai déjà 23. D’ailleurs, je les ai payées assez cher car on m’a dit
qu’elle sont magiques. En effet, ces statuettes de grande valeur n’ont
jamais été emportées par mes visiteurs qui ne les regardent même pas.
J’aime
beaucoup ma petite maison au milieu du village. Jamais je n’aurais
accepté de vivre dans les ghettos à toubabs. Les voisines me font
confiance: elles déposent leurs ordures devant chez moi, car elles
savent que je vais tout ramasser et faire enlever ça par une charrette.
C’est une compensation normale pour moi qui ait transformé leurs
ancêtres en esclaves.
J’ai une technicienne de surface. Certains
disent une Fatou. C’est honteux. Elle vient tous les jours et je la paye
au SMIC comme demandé, soit 1.129,29 € par mois. Des fois, je prépare
des affaires pour que la bonne les emporte dans son sac déjà bien rempli
de je ne sais quoi afin de nourrir sa famille de 9 enfants. J’ai essayé
de cotiser aux organismes sociaux sénégalais mais ils ont cru que je
plaisantais et ils ne m’ont jamais inscrit. Le guichetier m’a proposé
gentiment sa nièce pour faire le ménage chez moi ou pour me mettre en
ménage selon mon choix. Me marier ? Tous les couples mixtes que j'ai
rencontré me chantent les louanges du Sénégal qui devient encore plus
magnifique et sans aucun défaut après qu'ils soient passés à la mosquée.
Je vais y réfléchir.
Vraiment, je me plais ici, baigné par la
gentillesse du monde de la teranga. Jamais je ne vendrais mon havre de
paix. Mais je suis tellement triste : pour le moment, je ne peux y venir
que deux semaines merveilleuses par an.
PS: Maintenant que je suis en retraite, je me suis installé définitivement dans ma maison. Je découvre les longues coupures d'eau au robinet, les longues coupures d'électricité qui nuisent au congélateur, les longues inondations après de longues pluies pendant la saison du même nom, les longues soirées d'hiver sans internet (on m'a volé mon ordinateur) ni télévision (je l'ai prêtée à un ami qui a disparu). Mais je suis heureux: je peux continuer à contempler la savane et les baobabs et à discuter avec les gens selon le même rituel enrichissant :Nangadef, Comment ça va ? Bien et toi? Moi ça va bien. Et tes enfants ?... etc. Al-Hamdoulillah!
Ecrit par Lebenêt-Béat (lol)
La photo de Jacques Villeret n'est qu'illustrative