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Monsieur Lingénut découvre Saly


Premiers jours d'un gentil touriste très gentil

 
J'ai vécu à Saly et j'ai décidé de regarder cette belle ville touristique -perle de l'ouest africain- avec un œil neuf, comme un touriste candide qui vient de débarquer. Et donc dans cette narration, je m'amuse à positiver: ici, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.  
(Il y a beaucoup d'allusions au second degré qui seront surtout perçues par ceux qui ont vécu là-bas).

 
•• La plage et le port
 
Le boulevard Haussmann qui mène à la plage

Tout d'abord, c'est normal, j'ai eu envie d'aller voir la mer. L'agence m'a annoncé que c'était la perle de l'ouest africain, une station balnéaire de premier choix. J'ai donc emprunté le boulevard Haussmann (les habitants l'appellent ainsi), et je suis arrivé jusqu'au port. J'avoue que j'étais quand même un peu déçu par ce spectacle de désolation: pas de plage et des ruines partout. Une femme en pagne verse un seau d'ordures dans l'eau. 
 
Un pêcheur qui dormait sur un tas de filets lève la tête pour m'expliquer qu'ils avaient eu un dégât des eaux. Devant ma tête dépitée, le pêcheur m'affirme: "T'en fais pas boy, demain, tout sera remis en état". Bon, j'ai été rassuré par cet homme affable qui connaît l'anglais. Il a dit demain, j'attendrai donc demain pour essayer mon nouveau maillot de bain. Et en attendant, je vais découvrir Saly.
 
Le port de Saly et sa plage (2013)

 
•• Au bonheur des touristes

 
Au cours de ma découverte de Saly, j'ai pu constater à quel point les Sénégalais sont polis et affables. Même depuis l'autre trottoir, les gens te saluent avec de grands gestes en t'appelant "Hé, mon ami".
 
Tu ne me reconnais pas?
Un homme a même pris la peine de se lever de son parpaing pour traverser la rue. Il est venu vers moi, la main tendue avec un grand sourire, en me disant: "Tu ne me reconnais pas?". Non. Il a vraiment insisté avec gentillesse en faisant des efforts pour pallier mon Alzheimer qui commence. « Tu sais, à l’hôtel, c’est moi qui t’ai montré comment sortir vers le village ». Ah ? J’étais vraiment perplexe sur l’évolution de mon défaut de mémoire. Je ne me souvenais même plus que j’étais à l’hôtel, vu que j'ai loué une villa. Grave... Je le remerciais vivement de sa sollicitude. J'allais poursuivre ma promenade quand il me demanda "Tu n'aurais pas dix mille à me prêter pour me dépanner? J'irais te les rendre à l'hôtel".
 
Plus loin, un garçon est venu me dire: "Hello le play-boy! Si tu veux une gazelle, je t'en trouve une, une belle, Inch'Allah". Je m'arrêtais, surpris. Puis je vois qu'il a à la main une bouteille de bière locale appelée La Gazelle. Alors, avec un grand sourire, je lui dit "Vraiment c'est gentil, mais je ne bois pas d'alcool Inch'Allah".
 
Carte postale "La flore du Sénégal"
Je me suis arrêté devant une boutique de souvenirs et j'ai acheté une belle carte postale sur "La flore du Sénégal" avec un baobab typique du pays pour un ami qui aime les belles plantes. Je l'ai postée, mais il l'a reçue un mois et demi après mon retour.
 
Poursuivant mon chemin, c'est un vieux monsieur, un blanc avec une petite bedaine qui m'aborde poliment. Il est visiblement éméché et il me demande avec difficulté: "Savez-vous où se trouve mon terrain? Je ne retrouve plus mon terrain". Il me montre une feuille détachée d'un cahier d'écolier. Je lis le papier. "Vente de la parcelle cadastrée n° 272 à Saly. Bon pour achat. Payé 900.000 Fr". Il y a deux signatures. Je lui dis "Vous avez payé neuf cents mille francs? Mais il faut demander au vendeur! — Ben justement, je ne le retrouve pas non plus". Je relis le papier. "Ah ! Monsieur ! Votre vendeur est un homme distrait. Il a oublié de mettre ses coordonnées. — Alors, que faire?" Je lui montre une fille avec un gilet "SAPCO Information. "Il faut lui demander à elle. Je crois qu'elle est là pour renseigner les gens".*  (Lire la suite)

Il y a aussi des petits métiers. Un jeune m'a proposé de cirer mes chaussures. J'étais un peu surpris parce que je porte des Nike. J'ai vu que les touristes allemands sont astucieux. En short, ils portent des sandalettes avec des chaussettes noires pour ne pas se salir. "C'est à ça qu'on les reconnaît" m'a dit un Sénégalais "Nous ici, on les appelle les Saly-goth. Et vous, des Séné-gaulois". 
 
Ils lavent des voitures place des Bougainvillées. Je me demande à quoi ça sert vu qu'au bout de 200 mètres de piste, ta voiture est redevenue comme avant. J'ai vu un homme en boubou monter dans un Hummer rutilant. Ici, il y a beaucoup de voitures de luxe qui détonnent au milieu des demi-épaves rafistolées. Une fois, j'ai vu un gros 4x4 s'arrêter et des enfants mal habillés en descendre. Ils demandaient des petits sous aux passants avec une boîte de conserve. C'était sûrement comme la quête de solidarité Pièces Jaunes en France.
 
Heureusement, le camion n'a presque rien (Clic)
En voiture, il faut faire très attention car les conducteurs font plus confiance aux grigris de leur marabout qu'au code de la route. J'ai vu un accident très spectaculaire. Heureusement, le beau camion dont les freins ont lâché n'a pas eu beaucoup de dégâts.
 
Un peu plus loin, un Sénégalais un peu mystérieux m’attire à l’abri des regards, tourné vers un mur. Là, il ouvre précautionneusement une boite blanche et je vois un magnifique IPhone 8. Il me demande « Tu connais ? Tu sais combien ça coûte? » Oui oui ! je n’ai pas pu m’en offrir un. C'était un IPhone ou le billet d'avion pour le Sénégal (les billets sont tellement cher). Je lui demande si c’est un vrai. Il appelle un autre Sénégalais qui regarde la boîte et qui me dit d’un air affirmatif « Oui, c’est un vrai ». J’admirais la compétence de cet expert qui a tout analysé d’un seul coup d’œil. Le vendeur se tourne vers moi et me dit « Je te fais cadeau. Donne cent mille ». J’étais choqué. Je ne pouvais accepter ce qu’il me proposait probablement au prix d’un grand sacrifice financier pour lui. Il a beaucoup insisté, et m'a même dit "Donne vingt-cinq mille, ça ira" mais je crois avoir fait une bonne action en refusant ce cadeau qui lui faisait perdre de l'argent. 

•• Patience et longueur de temps: la sagesse africaine

À propos de téléphone, j'ai acheté une puce chez Orange. Il faut attendre.
 
A la Sonatel, c'est bien organisé. Il y a la télévision pour occuper
ceux qui attendent et même ceux qui n'attendent pas.


J'ai donné mes papiers d'identité et tout et tout à un monsieur très occupé au téléphone. Il faut attendre. Il y avait beaucoup de monde qui attendait patiemment. Il parle toujours en wolof au téléphone et je lui désigne ma montre du doigt pour qu'il arrête quand même. Quand il a enfin raccroché, le guichetier m'a appris une sentence philosophique africaine: «Toi tu as une montre. Nous on a le temps». Les Sénégalais savent attendre, c'est une de leurs vertus. 
 
Ça fait combien la minute?
Sinon, je n'ai pas très bien compris la facturation du téléphone. Presque tout a été consommé en un rien de temps. D'ailleurs j'ai fait une capture d'écran. Zéro seconde ça fait 31 Fr. Ici, on facture le rien de temps à combien. Le non-temps c'est de l'argent. Je n'ai pas voulu encore attendre chez Orange-Sonatel. Et j'ai demandé à la fille qui porte un blouson "SAPCO Information". Elle n'a pas pu m'expliquer. Elle ne comprend pas le Français.
 
J'ai appris plus tard que le mot wolof "suba" veux dire demain, et qu'en réalité il faut comprendre "un jour peut-être". En effet, le lendemain, en retournant sur la plage pour me baigner, le port était toujours détruit et sa plage toujours sans sable. Le pêcheur qui était toujours là m'a dit: "Ben oui...  tu verras demain... Suba. Il faut attendre".

Pareil pour retirer de l'argent au distributeur de la SGBS. Je rentre dans la cabine et l'écran affiche "Hors service". Je n'avais presque plus de liquide et je m'exclame "Ah! merde". Et une voix criante de vérité sort de  la machine : «Je vérifie. C'est probablement une panne de réseau. Il faut attendre». Formidable! Ici ils ont des DAB avec intelligence artificielle et voix synthétique très réaliste!

•• La magie de l'Afrique

 
Je continuais ma découverte de Saly, et vraiment tu sens l'Afrique. Ce n'est pas comme à Miami Beach où tout est hyper clean et n'a aucun caractère. Ici, les autochtones ont su garder l'authenticité de leur culture, avec des maisons surprenantes tant elles défient l'équilibre. Ces constructions montrent une grande ingéniosité dans la manière d'assembler les briques et les brocs. De même, les courbes évitent la symétrie pour ne pas tomber dans la monotonie. Pour protéger ce savoir-faire ancestral, on m'a dit que les permis de construire étaient réservés aux blancs afin de les empêcher de faire des bêtises et des erreurs de goût.
 
Les trottoirs de Saly sont achalandés avec soin
pour le plaisir des yeux et pour retenir les clients

Pour conserver le caractère africain des rues, les indigènes ont mis des pierres et du sable pour cacher les trottoirs. Marcher sur les trottoirs est un vrai parcours de santé, un gymkhana entre les obstacles. En effet, pour parfaire ce camouflage, les commerçants y installent des cageots de légumes, des pneus à vendre, des voitures qu'ils réparent ou de grands panneaux avec la carte du restaurant. Sans parler des divers poteaux et des terrasses de restaurant qui avancent jusqu'à la route.
 
Les menus comme les enseignes des bitiks sont parfois rédigés en langue vernaculaire, une sorte de dérivé du français aux tournures surprenantes comme "sendouich", "bisteq". Il faut aussi s'habituer au français parlé. Ils disent é-stade, é-sprite, ou é-string. Dans la rue, des groupes d'enfants joyeux te suivent avec des mots de bienvenue en wolof: "toubabkado, toubabkado". J'ai compris que "Toubab", ça veut dire "Blanc-Porte-monnaie". 
 
D'ailleurs, j'ai commencé à apprendre des mots en wolof: xaalis (fric), say-say (gros cochon), suba (un jour éventuellement), monami (je vais te demander quelque chose), tudonekombien? (trompe toi sur le prix pour payer plus)... Curieusement, le mot NON n'existe pas. Il est remplacé par peut-être, demain, bientôt, suba, oui-oui, ou inchala. Un habitué m'a expliqué qu'ici oui ça veut dire peut-être et peut-être ça veut dire non. Toute une culture à découvrir.

Exemple d'arcades savamment dissymétriques mises
en valeur d'un habile coup de peinture blanche (clic)

Cette ville est en pleine expansion. Partout on voit des chantiers en cours et des maisons inachevées. J'ai observé que tout est savamment de travers ou de guingois comme les antennes télé, les poteaux électriques et même les lampadaires urbains, ce qui donne ce charme fou si typique de l'Afrique, charme renforcé par les légers sachets de plastique noir qui volettent avec la poussière tels des papillons au gré de la bise tiède de l'harmattan (lalala...). Que du bonheur. 
 
Mosquée Touba Couture
J'ai rarement vu des ouvriers sur les chantiers. Ils doivent être à la mosquée. J'ai remarqué que les Sénégalais sont très pieux. Ils pratiquent un islam sénégalais qui s'appelle Le Touba de chez Mouride. 
 
Et il y a des boutiques partout où c'est écrit en gros: "Quincaillerie Touba", "Restaurant café Touba", "Bazin Touba". En réalité, je pense que ce sont des mini mosquées: j'ai vu des gens y renifler des tapis. Même des taxis clandos affichent Hamdoulah Touba sur leur parebrise. D'ailleurs, il y a tellement de trucs collés que je me demande comment ils voient. Finalement, c'est très commode et efficace. Même moi j'ai retrouvé la foi et j'ai prié Dieu dans un taxi quand j'ai vu les risques qu'il prenait.

r•• Les antiquaires

 
Ah ! J'allais oublier ! Les antiquaires... Je n'ai toujours pas compris pourquoi on les appelle comme ça. L'autre appellation "Côté-man" est plus explicite. Ils disent d'eux "Qu'ils sont collant comme des mouches mais qu'ils ne piquent pas comme les moustiques". J'ai bien ri. J'en ai parlé à un Français à une terrasse qui m'a dit "Mais si ! Ils piquent aussi".
 
Mon ami, fais travailler ma sœur qui fait des bons massages
 
L'antiquaire est une sorte de guide gratuit qui tient à te suivre partout pour t'aider à découvrir Saly. Comme Abdou. Il t'emmène dans des boutiques où tu es sûr de ne pas te faire rouler, "parce que ici..." Chez un de ses amis boutiquier, j'ai failli pleurer à cause de la tragédie du Joola qu'ils m'ont raconté. Ils m'ont demandé de signer un Livre d'Or en faveur des victimes. Un grand honneur. J'ai compatis. "Donnes 10.000, c'est bon". 
 
Il m'a même emmené voir  -sous le sceau du secret-  quelque chose que peu de gens connaissent: le puits des Portugais. Il a été creusé au XIe siècle par les envahisseurs portugais. C'est eux qui ont donné le nom de Saly, un nom portugais, à ce village. Ce puits, c'est juste un trou protégé par des parpaings mais il a 1000 ans. Ce trou m'a impressionné. Il est inscrit dans le patrimoine historique des habitants qui se transmettent le secret de génération en génération par les griots m'a dit Abdou. C'est le seul monument historique que j'ai vu, parce qu'il y en a pas d'autres. 
 
En retournant vers le village, il s'arrête devant une maison blanche qu'il me montre de la main et il me dit: "Ça c'est la maison de Robert. C'est un Français qui sait parler wolof". Ah... Je contemple silencieusement cette villa qui ne respecte pas de style local. Et surtout, j'ai admiré la jeune Sénégalaise taille fine et bien bronzée qui se prélassait près de la piscine.
 
Dans une boutique d'antiquités, j'ai retourné un bol ancien et j'ai vu écrit "Made in China". Je n'ai pas osé lui en parler parce que je risquais une explication de trente minutes. En effet, les antiquaires sont vraiment très bavards mais tu apprends plein de choses et des mots nouveaux. 

 
Restaurant Le soleil où j'ai mangé avec Abdou. Remarquez à gauche
la jolie extension d'architecture locale construite sur le trottoir (photo 2007)




Une fois, attablé au restaurant où je l'avais invité, j'ai vu une fille sur un tabouret au bar qui avait le crane partiellement à nu et son visage était orange clair avec des taches jaunes. Devant ma surprise, Abdou m'a dit entre deux bouchées: "C'est une thiaga.....gnnn... Elle s'est fait faire un afroi.... gnnn... Elle utilise du ressal". 
 
Comme je n'ai rien compris, il m'a patiemment expliqué une fois son assiette vide : "Ici, les filles se font faire un "à froid"; c'est un produit qu'on te met sur les cheveux, mais pas à chaud quoi. C'est pour défriser les cheveux, pour qu'ils ne soient plus crépus quoi. Des fois, ça rate et les cheveux tombent, quoi". "Le teint clair ? Ici les filles veulent devenir plus blanches quoi, alors elles mettent du Xesaal, un produit éclaircissant, mais des fois, ça rate quoi. Ça fait des taches jaunes". "Thiaga? Ha, ben si tu veux, je te la présente quoi. Ou bien tu en veux une autre avec des cheveux ou une perruque?". 
Les jeunes sont très attentionnés
avec les vieilles touristes


Après renseignement, j'étais perplexe. Les noires utilisent des produits cancérigènes pour devenir blanche, et les blanches restent au soleil pour devenir noir, avec aussi des risques de cancer. La vie est mal faite. 
 
J'ai vu aussi que des jeunes accompagnent volontiers les vieilles touristes. Et même, ils les tiennent souvent par la main pour leur éviter de tomber. Ce sont sûrement des sortes d'assistants de vie pour seniors. Ils pensent à tout ici.
 
Un jour, le pauvre Abdou s'est plaint de ne par avoir les moyens d'acheter un mouton pour la tabaski, alors, ému, je lui ai donné bien volontiers 100.000 Fr pour sa gentillesse. Il m'a remercié en wolof en murmurant quelque chose comme "cépeti"

A Saly, c'est formidable ! Il y a même des guides touristiques bénévoles.
 

•• Les clandos de Garage boulangerie

Abdou m’a indiqué une plage, une vraie, là bas du côté de Safari vers le Golf. «Tu verras, la route part devant la boulangerie l’Epi Doré où il y a plein de clandos.»


J’arrive à ce carrefour appelé "garage boulangerie" et en effet, il y a des voitures  qui attendent le client. Deux Sénégalais se font des amabilités devant la portière ouverte d'un taxi en disant qu’il était là le premier. Un homme crie pour me demander: "Taxi? Où tu vas?". Un taxi fait demi-tour au milieu de la route. Un autre taxi s’arrête juste derrière celui qui manœuvre et le bloque, le temps qu'une femme descende et prenne ses sacs dans le coffre. Des voitures derrière klaxonnent sûrement pour saluer cette dame qu'ils connaissent. Une voiture arrive de l'autre côté et veux absolument tourner à gauche vers la plage. Il s'encastre dans le méli-mélo des voitures qui devient inextricable. Astucieux, un gros 4x4 conduit par un blanc escalade le trottoir et passe au milieu des piétons qui s’écartent respectueusement. . 

J'étais en admiration devant ce moment de vie authentique. Impassible un agent de police regarde de temps en temps ce fatras en levant le nez de son smartphone, et très philosophe, il n’intervient pas. Il fait confiance dans la civilité et la débrouillardise des taximan sénégalais.

•• Enfin sur une plage

 
La plage pour tous, c'est après les palmiers
Je réussi à traverser sans me faire renverser grâce a un petit garçon qui m'a demandé 100 Fr dans sa boîte de conserve et j’arrive tout là-bas à la plage.

A droite il y a un beau bar en terrasse surélevée. Je m’installe non loin car il y a de la place entre les parasols. Un barman vient me dire que c’est une plage privée réservée aux résidents de Safari. Confus, je m'excuse de cette erreur. Je descend vers la mer. C’est très encombré sur cette petite bande de plage. Un groupe de jeunes s’installe près de ma serviette et joue au foot. Je crois que je sers de but, ayant reçu le ballon plusieurs fois. Je vois de beaux garçons musclés s’entraîner à faire comme une grenouille à l'envers. A plusieurs, ils s’accroupissent en ligne et font des sauts en arrière pour se muscler les jambes je pense. Deux femmes blanches en bikini passent devant moi et j’entends: « Tu sais, l'autre jour il y en a un qui m'a proposé de me faire connaître son serpent noir ». Ces gens merveilleux sont toujours prêt à rendre service. 

Les vendeurs ambulants peuvent venir admirer les blancs en train de manger
Une femme passe avec un panier en équilibre sur sa tête avec des bananes comme sur les cartes postales. J'admire la performance. Je lui achète une banane. Je ne me souviens plus du prix dans les boutiques, mais je trouve qu’un euro et demi, c'est cher.

 Un homme passe pour me proposer des lunettes de soleil. Il n'a pas vu que j'en ai déjà sur le nez.

Je me décide à aller me baigner. L'eau est bonne, mais elle est très trouble à cause du sable remué. Mon masque ne me sert à rien. Je devine des trucs bizarres qui flottent entre deux eaux. Tout d'un coup, je frémis, car un poisson m'a frôlé. J'essaye de le voir. Il est exotique, tout en longueur, plutôt étrange car il ressemble à des tripes de mouton. Je reviens et je me mets à plat ventre pour me sécher sous un soleil voilé. La publicité affirme qu'il y a 365 jours de soleil par an: ils ont raison; aujourd'hui il est bien là derrière les nuages. 

J’entends une voix de femme me dire « Bonjour mon ami ». Je me retourne vers elle. « Ho ! Mais tu es beau! ». Les gens sont vraiment gentils ici ! Elle pose son panier et me propose des porte-clés, des bracelets à boules. Les gadgets qu'elle me présente ne me plaisent pas. Je lui dit gentiment que je n’emporte jamais d’argent à la plage. Elle doit être sourde la pauvre car elle continue. Elle me présente une boite qu’elle ouvre et me dit « Tu es marié ou tu es seul? C’est de la crème pour le massage. C’est très bon ». Elle poursuit « Tu habites où? » « Pas très loin, par là. Pourquoi tu veux savoir où j’habite? » Elle poursuit « Tu sais, on peut aller chez toi et je peux te faire bon massage. Et puis chez toi, tu as de l'argent. » Oui, elle a raison. Les Sénégalais sont plein de bon sens.

Il faut en garder un peu pour demain
En retournant vers le centre artisanal, je rencontre un balayeur avec une brouette pleine. Il ramasse les nombreux détritus et les met sur le monticule. Les ordures retombent par terre et il va un peu plus loin continuer son travail. Le pauvre balayeur se fatigue pour rien. J'interviens: "Monsieur, il faudrait vider votre brouette avant de continuer!". Il me répond: "Non non! c'est mieux pour moi. Demain on me fera travailler à nouveau pour ramasser ce qui est par terre. Tu comprends monsieur?" Je comprenais le problème de cet emploi précaire. Oui décidément, les Sénégalais sont plein de bon sens.*

•• Safari urbain

 
Elle se repose après avoir dégusté
des emballages de sacs ciment

Ici, pas besoin de se payer un safari. Les animaux sont dans le village. Des chèvres vaquent librement, courant après les papiers pour les manger. Des monsieur chèvre courtisent des madame chèvre avec des béguètements amoureux qui évoquent le cri d'un bébé qu'on égorge. Au début, ça surprend. Des villageois ayant pitié de ces animaux faméliques ont déposé ça et là des tas d'ordures pour les nourrir. Quant aux moutons, ils jouent à tester les réflexes des conducteurs et la puissance des freins en traversant brusquement la route juste quand la voiture arrive. Un contrôle technique gratuit en quelques sortes. 
 
Bien souvent les chèvres finissent grillées sur un barbecue de dibiterie. Ça sent bon. On te vend un tas d'os avec un peu de viande brûlée autour, emballé dans un papier de journal. Ça te permet de découvrir les faits divers au fur et à mesure que tu manges.

•• La loterie des sacs poubelle

 
Camion poubelle de la Sénégalaise des Jeux
J'ai vu aussi un gros tracteur avec une remorque qui roule le matin dans les rues du village. C'est un jeu de hasard. On m'a dit que "il passe des fois". Le conducteur klaxonne de temps en temps (au hasard) et on voit alors surgir précipitamment des femmes avec des sachets d'ordures. Elles prennent leur élan et lancent ces paquets dans la remorque qui continue d'avancer. 
 
Certaines réussissent. Je ne sais pas ce qu'elles gagnent. D'autres non. Dans ce cas, les ordures répandues sur la chaussée sont laissées pour les chèvres. Certaines ont gagné un lot de consolation: un employé de la remorque accepte de prendre son sac pour le déposer avec les sacs gagnants. D'autres déposent leurs sacs devant la maison, mais incorruptibles, les employés de la Sénégalaise des Jeux ne descendent pas prendre les sacs de ces tricheuses. Le tracteur ne s'arrête pas. Il faut qu'il aille vite faire jouer d'autres femmes dans d'autres quartiers et leur apporter un peu de joie de vivre. 
Ce qui reste des remorques
Des fois, des retardataires qui n'ont pas pu tenter leur chance vont, par dépit, déposer leur sacs au soleil sur le terrain vague le plus proche, contribuant à l'ambiance des effluves africaines.
 
Je suis ravi de cet exotisme. Je me sens vraiment en pays étranger. Sauf que j'ai été bien triste avant de repartir car j'ai vu que quelqu'un avait volé les roues des remorques, privant ainsi les femmes de leur jeu favori.


•• La solidarité n'est pas un vain mot

 
La solidarité joue à fond et il n'y a pas de sot métier. Un grand gaillard avec des tresses, des dreadlocks, qui devaient peser 2 kg et une grosse cigarette mal faite à la bouche est venu me dire d'un air fatigué qu'il fallait que je fasse travailler sa sœur. Elle tient un salon de massage. Je lui ai promis d'y aller plus tard en le remerciant de ce geste solidaire pour sa sœur.
 
Plus loin, devant le casino tout neuf dont l’architecture ultra contemporaine s’inspire de la sobriété des bunkers du Bauhaus, je vois un pauvre homme en difficulté. 
 
Sa voiture en mauvais état est garée en travers de la chaussée. Il avait crevé et n’ayant pas de cric, quelqu’un lui avait prêté obligeamment un parpaing. N’ayant pas de roue de secours, il a été obligé de porter sa roue crevée chez un voulganizateur laissant là sa voiture. N'ayant pas de triangle de sécurité, il fait totalement confiance en l'attention des autres conducteurs. N'ayant pas non plus de frein à main, il a disposé une pierre derrière la roue arrière par prudence. Un sage. J’étais ému aux larmes par tant de pauvreté.

Tout le monde comprend la situation de ce pauvre homme crevé

J’aurais aimé lui donner dix mille francs pour l'aider s'il avait été là. Compatissants, les chauffeurs ne klaxonnaient pas comme en France où on aurait engueulé ce chauffard qui ne s’est même pas garé. Les voitures attendent sagement que celles d’en face passent. C’est encore une preuve de la grande courtoisie et de la solidarité des Sénégalais entre eux.
 
A une dizaine de mètres de la voiture en panne, un agent de police (je suppose), un gros baraqué en vert, s’agite devant l’entrée du casino. A voir tous les mouvements de bras qu’il fait, j’ai pensé un instant qu’il pratiquait une sorte de gymnastique pour se dégourdir les bras. Pour donner le rythme, il s’accompagnait de coups de sifflet. 
J’ai pensé à Véronique et Davina, les vedettes de la gym à la télé des années 80, et je me suis dit : « Le pauvre, il faudrait que je lui fasse connaître « Toutou Youtou » qui est quand même plus agréable pour la Gym Tonique qu’un simple sifflet.
 
Finalement, j'ai compris que, de là où il est sur le trottoir, il fait signe aux automobilistes de passer ou de s’arrêter à cause du passage étroit laissé par le pauvre crevé. Enfin la voiture crevée. Je ne m'en suis pas aperçu tout de suite car en réalité, dans ce pays de grande liberté individuelle, chacun fait ce qu'il veut et passe quand il veut sans faire attention au préposé. Consciencieux, le fonctionnaire faisait quand même son travail. On voit que la solidarité joue à plein dans ce pays. En France ou en Belgique, je pense que le flic aurait demandé que l’autre se gare mieux, au risque de l'obliger à rouler avec le pneu crevé déjà très abîmé et de l’achever. Non. Pas ici.
 
Devant l’Épi Doré, la maréchaussée a organisé ici un crash-test
de marche sur la chaussée en débordant largement du trottoir


Les gendarmes de Saly œuvrent pour le bien de la population. Ils font faire des exercices aux piétons. J'ai vu une de leurs voitures garée de telle manière que les piétons sont obligés de marcher sur la chaussée et ainsi ils habituent les gens au danger. Ils ont le sens du devoir. Quand je faisais la photo, un Sénégalais m'a dit: "Tu photographies les mange-mille?" Interloqué, il m'explique "S'il t'arrête, c'est au moins mille francs pour repartir". Ah? Une contribution volontaire de solidarité?

Voitures de pompiers. Cliquez pour zoomer
Un peu plus loin, je suis passé devant la caserne des pompiers. J'ai vu qu'ils avaient enlevé les roues pour les préserver des méfaits du soleil. Sage précaution: on n'est jamais trop prudent.
 
Poursuivant mon chemin, un homme triste en boubou bleu foncé m'aborde avec un papier qu'il me tend. Je lis "Ordonnance", puis des signes cabalistique puis en bas 15.630 Fr. Je lui demande ce que c'est. Il me dit "Médicaments. Amoul xaliss. Invalide. Pas travail." Je lui demande de quoi il est si gravement atteint. Il me répond "Des moroïdes". Solidaire, je lui donnais ce que j'avais sur moi, très fier d'avoir contribué à sauver une vie. Il m'a dit que le ciel me le rendra, mais j'attends toujours.

•• La teranga de jour comme de nuit

 
Le soir, dînant chez des amis, je ne sais comment, les voisins d’en face ont su qu’un blanc était venu. Ils ont installé dans la rue une grosse sono dirigée vers la maison, des djembés, un grand portrait éclairé d’un marabout Touba en turban avec un masque anti-virus. Et ils ont commencé à m’offrir un concert de musique typique. J’étais très honoré. C'est donc ça la teranga! 
 
Mes amis m’ont dit que c’était un groupe appelé "Les Buy Fall". Pourquoi ce groupe a-t-il choisi un nom anglais? Ça veut dire "Acheter l'Automne". C'est original. Peut-être qu'ils se préparent à la mondialisation?
 
J'en ai filmé deux heures. Je vous en fais écouter 10 secondes. Savourez.
 

 
 
Au bout de trois heures trente, je trouvais la musique un peu monotone et vraiment forte. Personnellement, je ne suis pas sûr qu'ils vont gagner un Disque d'Or et une carrière internationale. Des voisins étaient venus pour chanter et à la fin, ils criaient « tout bas, tout bas ». Eux aussi voulaient qu’on baisse la sono pour ne pas gêner ceux qui dormaient à cette heure avancée de la nuit, mais tout occupé à ses mélopées, le chanteur n’entendait rien. Puis un Sénégalais habillé en clown aux tissus très colorés est venu me tendre un chapeau pour m’offrir de l’argent. Mais je n’ai pas osé en prendre. Quelle gentillesse. Vraiment quel pays merveilleux.
 
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* Je vous assure que tous les faits racontés sont véridiques, mais il faut vraiment avoir vécu là-bas pour tout croire et tout comprendre.

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7 commentaires:

  1. Ce récit résume un ensemble de faits que j'ai réellement vécus. Aussi incroyable que cela puisse paraître aux gens que ne connaissent pas le Sénégal. Surtout Saly bien sûr.

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    1. tout à fait cela , pour y avoir été plusieurs années ,beau récit avec beaucoup d'humour !

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  2. J'adore , j'ai beaucoup ri , très bonne vision de la réalité des faits , personnellement je vie à SALY et je confirme ( les faits racontés sont exacts )
    Très bon commentaire et encore bravo

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  3. Super, tu d’écrit avec beaucoup d’humour la vie au quotidien d’une station soit disant balnéaire et qui n’a que le nom pour essayer d’attirer quelques rares touristes qui ont encore envi de venir ce faire plumer
    Bravo pour cette lucidité pleine de charme et d’humour mais tellement vrai

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  4. J'y vais depuis 2010 c'est tout à fait ça raconté avec beaucoup d'amour .Vive la téranga .quand tu repars tu es déplumé .

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    1. ... avec beaucoup d'amour, ou d'humour ?

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  5. Très belle et juste analyse humoristique !!!

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